L’électricité sans dessus dessous

Jamais, dans l’histoire moderne, les prix de l’énergie n’avaient atteint de tels sommets et fait peser un tel poids sur le pouvoir d’achat des consommateurs et la trésorerie des entreprises. Pourquoi et comment en est-on arrivé à ces extrémités ? C’est le propos de notre « décryptage du mois »…

Un tarif en trois « parties »

Le tarif de l’électricité tient compte de trois paramètres… 

• les coûts de production, de stockage, d’approvisionnement et de commercialisation

• les coûts dits d’acheminement ou d’accès au réseau

• les taxes, parmi lesquelles la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et la Contribution au Service Public de l’Electricité (CSPE). A elle seule, cette dernière couvre à peu près un tiers du montant de la facture en électricité des professionnels. Perçue pour le compte des Douanes et désormais intégrée au budget de l’État, elle a notamment vocation à financer les politiques de soutien aux énergies renouvelables.

Une hausse plein gaz

La première raison de la flambée du prix de l’électricité en Europe, en France en particulier, tient à l’augmentation des coûts de production et, parmi eux, du prix du… gaz. Vous avez bien lu : du gaz !
Pour comprendre, vous devez avant tout savoir que si la très grande majorité (environ 75%) de l’électricité produite par EDF est d’origine nucléaire, ce sont les centrales au gaz (8% de la production électrique) qui équilibrent l’offre et la demande et qui, à ce titre, déterminent le prix de l’électricité. Après une longue période de ralentissement induite par la pandémie de Covid-19, l’activité industrielle mondiale a repris sur les chapeaux de roues au printemps 2021. Effet immédiat : les stocks de gaz, déjà amenuisés par un hiver très rigoureux partout en Europe, se sont appauvris jusqu’à ne plus pouvoir satisfaire la demande. Le déséquilibre ainsi créé a fait grimper les tarifs du gaz (multipliés par trois sur l’année) et, par ricochet, ceux de l’électricité. CQFD…

La roulette russe

On ne saurait faire l’économie d’une autre explication à la hausse du prix du gaz (et donc de l’électricité).  En l’occurrence la posture de la Russie, premier exportateur vers l’Europe (plus de 40% du gaz consommé), qui, en pleine accélération de la consommation, a délibérément réduit ses approvisionnements dès l’automne 2021 pour faire pression sur le projet de gazoduc géant NordStream 2 entre Saint-Pétersbourg et le Nord de l’Allemagne. Puis, avec l’invasion de l’Ukraine, les sanctions occidentales et le risque de mesures de rétorsion, les marchés anticipent la pénurie de gaz dont les prix, comme de l’électricité, s’envolent à nouveau vers des niveaux sans précédent. En l’absence de substitution crédible aux livraisons russes à court terme, le gaz se transforme en arme géopolitique redoutable…

Le CO2 aussi !

La production d’électricité est tout sauf indolore pour les émissions de CO2, que l’Union européenne ambitionne de réduire de 55% d’ici à 2030. En Europe, les producteurs d’énergie, notamment les centrales à gaz, ont pour obligation d’acheter des droits ou quotas d’émissions de CO2. Plus ils libèrent de carbone dans l’atmosphère, plus ils doivent acheter de quotas. Et plus le prix du quota croît (il est passé de 33 à 80€ la tonne entre janvier et décembre 2021), plus celui de l’électricité augmente. CQFD bis…

100€

Les prix de l’électricité ont doublé entre janvier et octobre 2021, franchissant pour la première fois la barre des 100 €/MWh en septembre 2021 (pour 2022) et ont subi, en décembre 2021, un nouveau mouvement de panique avec des prix dépassant les 400 €/MWh pour l’année 2022.A cela s’ajoutent des prix jamais vus pour la livraison d’électricité au cours de l’hiver 2022. A titre d’exemple, on retiendra des montants dépassant les 700 et 1000 €/MWh en journée en janvier et février. Et jusqu’à 1900 €/MWh pour les heures de pointe.

Sur votre facture…

Selon les modalités contractuelles -avec ou sans ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique)- et la date de fixation de votre contrat, les conséquences sur 2022 peuvent aller jusqu’à plusieurs dizaines, voire plus de 100 à 200 euros de hausse par mégawattheure. Pour les années suivantes, le changement systémique des prix de l’énergie, du fait des trajectoires ambitieuses de décarbonation de nos économies, avec une électrification massive des usages, maintiendra à un niveau très élevé ce poste de dépense.

Que fait l’Etat ?

En pleine flambée des prix de l’énergie, l’Etat s’est engagé à limiter à 4% l’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité en 2022 pour les particuliers. Ce « bouclier tarifaire » (avec des mesures spécifiques pour le gaz) bénéficie aussi aux entreprises pour lesquels le Gouvernement a d’abord décidé de réduire les taxes dans le cadre de la loi de finances : depuis le 1er février, pour une durée d’un an, la CSPE a été ramenée de 22,50€ à seulement 0,5€ par mégawattheure, soit le niveau le plus bas autorisé par le droit européen. Le Gouvernement a en outre décidé, le 13 janvier, d’aller encore plus loin, en augmentant le volume d’ARENH (électricité nucléaire historique à prix réduit) pour les fournisseurs, lesquels devront répercuter ces avantages au profit de leurs clients dans des conditions qui seront définies par la Commission de Régulation de l’Energie. Au total l’ensemble des mesures de « bouclier tarifaire » pourrait représenter plus de 20 milliards d’euros pour le budget de l’Etat !

Dossier réalisé avec l’aide de Clément METAYER, Directeur de la Production et des Achats d’Energies pour le Groupe Sorégies