PAUL POUREL « Le candidat à l’emploi a le pouvoir de décision. »

Dirigeant du Moulin de la Norée à Biard et du WC-Wine & Coffee de la place du Marché, à Poitiers, Paul POUREL est en recherche permanente de main-d’œuvre, en service notamment. Séduire et fidéliser ses personnels est devenu un combat de longue haleine, que les nouvelles exigences des candidats à l’emploi rendent de plus en plus difficile à mener. Entretien…

Statistiquement, l’hôtellerie et la restauration comptent parmi les secteurs qui peinent le plus à recruter. Est-ce un phénomène auquel vous êtes vous-même confronté ?

« Je l’ai toujours plus ou moins été. Même avant la Covid-19. Mais depuis le début de l’année 2022, c’est de la folie. À l’instant où je vous parle (ndlr : fin septembre), sur les quatre serveurs dont j’aurais besoin, deux manquent à l’appel et une autre va bientôt quitter le navire. Ne pas trouver rapidement une solution peut mettre en péril l’activité de l’entreprise. D’autant plus que dans le même temps, l’énergie, les impôts, la matière première elle-même, tout augmente. Même les salaires de mes employés, je les ai augmentés. C’était un engagement personnel et j’en suis fier. Mais au bout du compte, la marge de manœuvre est très très étroite. Je maintiens encore la tête hors de l’eau, mais ce n’est hélas pas le cas de tout le monde dans la profession, j’en ai pleinement conscience. »

Comment expliquez-vous une telle pénurie de main-d’œuvre ?

« À des difficultés structurelles, nées, selon moi, d’une formation initiale inadaptée aux réalités du monde du travail, la crise sanitaire a ajouté des difficultés conjoncturelles. La Covid-19 a été un révélateur, pour beaucoup de jeunes, de nouvelles priorités à donner à leur existence. À l’instant de devoir reprendre le chemin du boulot, certains se sont carrément détournés du métier, au motif qu’ils avaient bien vécu sans travail le week-end, sans coupure journalière, sans déplacement et sans frais à débourser, et qu’il y avait une vie ailleurs que dans la restauration. Ceux-là, pour les récupérer, c’est presque mission impossible. »

“ Les jeunes formés aujourd’hui manquent pour la plupart des bases élémentaires. ”

Vous parliez de « formation initiale inadaptée ». Vous en voulez au système éducatif ?

« Je dénonce surtout le fait que les jeunes formés aujourd’hui manquent pour la plupart des bases élémentaires. Je suis toujours en relation avec les CFA, le lycée Kyoto, Pôle Emploi et je constate régulièrement que les professeurs eux-mêmes se sentent un peu « déconnectés » du monde de l’entreprise. Quand vous n’avez pas mis les pieds dans un restaurant, côté salle et cuisine s’entend, depuis plus de cinq ans, comment voulez-vous enseigner à bon escient des comportements ou des techniques qui sont eux-mêmes en perpétuelle évolution ? Le principal écueil à un recrutement pertinent est là, dans le manque d’adaptabilité du système éducatif aux réalités de l’entreprise. Une refonte en la matière est indispensable. »

Il arrive quand même que parmi les candidats que vous rencontrez, certains aient le bon bagage, le profil idéal…

« Oui, bien sûr que cela arrive. Heureusement. Mais il ne faut pas croire que cela soit gagné pour autant. Combien de fois ai-je eu devant moi une jeune fille ou un jeune homme sans aucun moyen de locomotion et qui ne pouvait de fait donner suite à ma proposition ? Combien de fois, surtout, ai-je été confronté à des postulants qui dirigeaient eux-mêmes l’entretien ? Souvent. Car aujourd’hui, ce n’est plus le patron qui est en position de force, mais bien le demandeur d’emploi, électron libre d’une société de consommation dans laquelle on a accès à tout facilement et rapidement. Le candidat, a fortiori lorsqu’il a le profil recherché, a le pouvoir de décision. Si ce qu’il demande ne nous convient pas, il sait qu’il pourra aller voir ailleurs. Il est donc de moins en moins rare qu’il pose ses conditions. Sur le salaire, bien évidemment, mais aussi et surtout, et ça c’est nouveau, sur son confort de vie personnel. Le moins de coupures possible, pas de travail le dimanche, davantage de temps libre à partager avec sa petite ou son petit ami(e)… C’est comme ça, aujourd’hui, que se négocie, oui négocie, un poste ! »

Que faites-vous pour éviter que ces difficultés à recruter ne plombent définitivement l’activité de votre commerce ?

« Hier encore, le Moulin de la Norée, c’était de la brasserie, aujourd’hui, on fait du semi-gastro. Le panier moyen des clients s’est élargi. Sur le chiffre d’affaires, on s’en sort, bien que je ne fasse plus que quarante couverts au maximum, alors que l’établissement a le potentiel pour bien plus. Avec deux serveurs en moins, ce serait impossible à tenir. J’ai également aménagé les horaires, avec une fermeture totale le mardi, pour permettre au personnel en place de souffler. »

“ Je mise avant tout sur le savoir-être et l’adaptabilité à l’entreprise.”